Sous le Salève exactement

 

Des couleurs et des mots

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Il y a trois ans, j’ai acheté un petit olivier place du Bourg-de-Four, dans le centre historique de Genève. Pas plus grand que ma main, son tronc fragile émergeait à peine de la terre. Je l’ai immédiatement rempoté dans une terre cuite provençale, et j’ai enrichi sa motte d’un terreau spécial « plantes méditerranéennes », acheté à Migros. J’ai la chance d’avoir une main verte, ce qui ne veut finalement rien dire d’autre que je regarde les plantes, tout le temps, et qu’elles me regardent, elles aussi. 

L’olivier, c’est l’arbre méditerranéen par excellence ; un lien avec ma génétique grecque et le jardin gardois de mes parents, qui récoltent chaque année environ deux cents kilos d’olives, dûment acheminées au moulin à huile de Villeneuve-Lèz-Avignon. 

Sur ma terrasse genevoise, mon olivier bénéficie de la meilleure exposition possible : ensoleillement maximum à proximité du mur clair pour capter la réverbération et la chaleur de la façade, à l’abri du vent et de la pluie. L’hiver, ne pouvant entreposer mon arbre dans mon appartement surchauffé (pas sûre qu’il apprécie le chauffage central par le sol), je l’emballe entièrement, arbre + pot, dans une housse de protection. Au coeur du frimas genevois, lorsque le thermomètre descend sous zéro, je considère la petite forme bâchée de l’olivier avec compassion et je soulève de temps à autre un pan pour m’assurer que ça va toujours là-dessous. Une bouffée de chaleur humide m’informe que oui, ça va. On a connu des jours meilleurs mais enfin, bon, ça va.   

Ainsi, l’olivier et moi, nous nous observons. Sans mot dire ? Pas si sûr. Inquiet de me voir m’agiter autour de lui, soucieux de me faire plaisir, il a bien voulu pousser vers le ciel genevois des branches grêles, pas très fournies. La proximité des gros centenaires des bords de l’Arve ont donné à ses feuilles une étrange couleur. Faut-il voir là une sorte de mimétisme ? Perturbé par des problèmes identitaires, loin de sa terre originelle, le pauvre olivier chercherait-il à ressembler au catalpa dont l’énorme couronne verte nous écrase pendant toute la belle saison, me filant, à moi, des maux de tête, et à l’olivier des désordres chromatiques ? On peut le penser car les feuilles lisses et renflées, d’un vert profond de mon olivier genevois, ne ressemblent guère à celles de son cousin méridional, sèches et rêches, dont les ardeurs de Phoebus ont comme arraché les pigments, ne laissant qu’une teinte âpre, aux reflets gris bleuté.

La cueillette des olives a traditionnellement lieu à la fin d’octobre. A Aramon, mon père récoltera ses deux cents kilos. Surprise : pour la première fois, je vais aussi faire ma récolte. Je l’ai remarquée hier en arrosant mon petit arbre : une olive !  

Bientôt, les mastodontes du Léman vont entamer leur strip-tease annuel. Le catalpa va se déshabiller complètement devant nous, m’obliger à trimballer au compost de grands sacs de feuilles mortes, puis il va entrer en hibernation. L’olivier, lui, ne s’endormira pas. S’endormir, il ne sait pas faire. On va lui mettre son manteau et pailler sa motte.

Avant de mettre mes bottes, je reçois cette olive comme une promesse. L’année prochaine, il y en aura dix. Je les plongerai dans la marinade salée, herbes de provence, laurier et sarriette, et on les dégustera à l’apéro, au nez et sous la grosse barbe du catalpa.

Sophie, Genève le 2 octobre 2016

 

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