Hermosa y caliente : Nîmes

Note aux lecteurs de cette rubrique non originaires du Midi : les différentes interventions (excepté les miennes) devront s’entendre avec l’accent nîmois. Sinon ça ne joue pas. Exemples : le e muet devient eu : la gareu. On ajoute un, ou plusieurs « n » aux syllabes nasales pour faire rebondir le mot comme une superballe : un rennnndez-vous.

 

Arrêt de bus du CHU Carémeau, Nîmes, le 24 août à 17 heures.

Après une épuisante journée, je me suis adressée à deux dames assises sur le banc pour vérifier que je me trouvais bien au départ de la ligne F.
— C’est bien là, m’a répondu une des deux, vêtue d’un jean. Mais pour aller à la gare, vous avez aussi le H.
— Je vais au-delà de la gare, du côté de la route de Beaucaire.
— Quel arrêt ? a demandé l’autre dame, qui tenait un cabas sur ses genoux.
— A l’arrêt : « Amoureux ».
Sourires. L’arrêt de bus le plus proche de la maison de mes amis, dans le quartier des Oliviers, porte en effet ce bien joli nom.
— Bel endroit pour un rendez-vous, ai-je dit.
Rires de nous trois.
— En parlant de ça, il en est arrivé une bien bonne à une de mes copines, a dit la fille en jean. Elle avait rencontré un homme qui lui plaisait bien, elle lui plaisait bien aussi. Du coup le gars lui a envoyé un message pour l’inviter à boire un verre. Vous ne savez pas où c’était, le rendez-vous ?
Non, nous ne le savions pas.
— Au café de La Pipe.
Un ange a plané aux dessus de nos têtes.
— Et alors ? Qu’est-ce qu’elle a dit votre amie, a demandé la dame au cabas, vaguement inquiète.
— Elle l’a envoyé chier, peuchère, a répondu la nana en jean. Mais le problème, c’est qu’après, elle est allée vérifier sur internet, le café de la Pipe existe vraiment.
— Vous croyez qu’il l’a fait exprès ?
Nous nous sommes regardées toutes les trois en nous demandant quelle sorte de plouc avait pu oser une invite aussi frontale.
— Il a bien essayé d’expliquer à ma copine que c’était juste le café en bas de chez lui ou il aimait bien aller mais elle n’a rien voulu savoir.
— La prochaine fois il invitera ses conquêtes au bar des Platanes, ai-je conclu.
Nous avons ri à nouveau toutes les trois, persuadées que l’indélicat avait reçu la réponse qui convenait.

Le bus F est arrivé quelques minutes plus tard, piloté par une jeune Gardoise, plutôt jolie fille, cheveux noirs, œil noir (l’Espagne n’est pas loin). Le bus a foncé dans un dédale de ruelles accablées de chaleur, presque désertes en cette fin d’août. Je rêvassais, le nez collé à la vitre. Tout à coup des voix coléreuses ont envahi l’espace du bus. Deux femmes, en train de s’engueuler. Je n’ai pas levé tout de suite la tête, contrariée à l’idée que ces cris allaient m’obliger à émerger de mes pensées. Hélas, le niveau sonore est monté si fort que j’ai été contrainte de revenir à la surface.
— Vous m’avez mal regardée ! criait une voix de femme.
— Comment ça, je vous ai mal regardée ! hurlait une autre. Je ne vous ai pas mal regardée. D’ailleurs, je ne vous ai pas regardée du tout. J’en ai rien à fiche de vous regarder. Vous vous prenez pour qui ? Je regarde qui je veux, comme je veux !
Cinq bonnes minutes sur le même registre…
Lorsque la première duelliste est descendue du bus j’ai constaté que la conductrice était la seconde. Elle rouspétait toujours, consciente de ma présence derrière elle.
— Vous savez ce qui est arrivé à une conductrice que je connais, elle était en CDD, eh ben un jour une bonne femme est montée dans le bus et l’a traitée de sale p…. Du coup, elle lui a mis ses cinq doigts en pleine gueule, à la bonne femme. Moi, je ne peux pas me permettre de mettre mes cinq doigts dans la gueule de quelqu’un parce que vous comprenez, on se fait virer de suite. J’ai besoin de mon salaire, moi. C’est le client qui a raison. On est obligés de se laisser insulter. Qu’est-ce qu’elle croit cette tarée ? Que je déroule le tapis rouge à chaque personne qui monte dans le bus ?
Elle s’est tournée vers moi.
— Et vous, dites, je ne vous ai pas regardée normalement quand vous êtes montée ?
— Si, bien sûr, ai-je confirmé. Vous m’avez très bien regardée.
— Et d’abord, je ne vois pas comment elle a pu dire que je la regardais de travers, cette connasse, alors que je porte toujours mes lunettes noires quand je conduis.

Ma tête tournait légèrement, sous les effets conjugués de l’hôpital Carémeau, de la chaleur, de la fatigue lorsque le bus s’est engagé sur un long boulevard où j’ai pu contempler, amusée, le fameux café de La Pipe. Semblable à d’autres bistrots du Midi, façade gaie, rose, une grande porte ouvrant largement sur la rue éclaboussée de soleil. Le rideau de fer couvert de tags colorés était rabattu. C’était fermé. Tout semblait paisible. Je n’ai pu m’empêcher de me demander si la copine de la fille en jean n’avait pas un poil l’esprit mal tourné, et si le pauvre gars n’avait pas été injustement rebuffé.

Le bus m’a déposée devant les spectaculaires arènes, fierté de Nîmes, atout maître de sa candidature au patrimoine de l’Unesco, théâtre de nombreux spectacles toute l’année et notamment des fameuses corridas espagnoles, pendant la Feria. Au pied des Arènes, j’ai découvert la statue de Nimeño II (je ne l’avais jamais vue), récemment nettoyée et rénovée après avoir été maculée de peinture rouge par le C.R.A.C., Comité Résolument Anti Corrida, pour protester contre les longues heures de torture infligées à de pauvres bêtes de taureaux devant une foule en délire. Hélas, les actions du CRAC sont restées à ce jour inefficaces, les aficionados préférant payer des amendes à la société protectrice des animaux plutôt que renoncer à ce spectacle d’un autre temps, inutile et barbare. 

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Tellement bien… tellement heureuse d’avoir revu Nîmes.

Sophie, 

septembre 2016

 

 

 

 

 

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